Découverte à Beaumont-le-Roger –2009

11/08/2009 | Reportages

La pierre gravée de Beaumont-le-Roger

A l’occasion d’une conversation avec une habitante de Beaumont-le-Roger, j’appris l’existence d’une pierre gravée qui semblait ancienne. Elle me dit l’avoir trouvée sous la montée de l’escalier extérieur de sa maison. Cette pierre servait alors de support à deux bouteilles de gaz d’où les deux cercles d’oxydation visibles sur la photo. Mais n’en ayant plus l’utilité, cette pierre une fois retournée se retrouva posée au sol comme seuil du même escalier. Ma première idée était que cette pierre faisait partie d’un monument funéraire ancien mais il me fallait le vérifier…

Pierre lors de sa (re)découverte à proximité du parc Chantereine.

Cette dalle rectangulaire de calcaire blanc fait un peu plus d’un mètre de long, pour environ trente centimètres de large et à peu près sept centimètres d’épaisseur. La face cachée, une fois exhumée, révéla un texte en latin en partie altéré mais dont de large extrait permettait à notre ami Ulysse LOUIS d’en trouver le sens. Il s’agissait de vers d’Horace (Ode II, 3) mais le graveur ou le commanditaire avait pris la liberté de modifier légèrement le texte original puisque QVO est remplacé par des points de suspension.

[QVO]… PINVS INGENS ALBAQVE POPVLVS

VMBRAM HOSPITALEM CONSOCIARE AMANT

RAMIS QVID OBLIQVO LABORAT

LYMPHA FUGAX TREPIDARE RIVO.

Le pin svelte et le blanc peuplier

Aiment à mêler l’ombre hospitalière

De leurs ramures qui détournent

Cette source vive contre sa rive.

Du fait du lieu de sa découverte, du passé local, du sens du texte et du style de gravure, l’idée saugrenue que cette pierre ornait le parc de la villa Chantereine me traversa l’esprit.

En effet au XVIIème siècle fut construit à Beaumont-le-Roger un gracieux manoir dont certains disent qu’il était l’œuvre d’un certain Mansart. Et à cette période dite du « Grand Siècle », les poètes antiques étaient remis à l’honneur. Après avoir traversé les vicissitudes de la Révolution, le manoir fit partie du cadeau de rupture que Napoléon 1er offrit à Joséphine en 1810. En 1919, un artiste peintre américain, Louis Aston Knight donna un grand éclat à l’ancienne demeure. Il transforma les lieux en aménageant plusieurs étangs, piscines, fontaines, canaux et cascades dont il s’inspirait pour peindre ses toiles. Le vaste jardin étalait un tapis de fleurs multicolores, fouillis de fleurs rustiques et sauvages. Malheureusement, le manoir Chantereine fut totalement dévasté par les bombardements aériens du 17 août 1944, quelques jours seulement avant la libération de la ville le 23 août.

Après avoir pris contact avec Patrick R. Knight, petit-neveu du dernier propriétaire de la villa mais qui m’a dit être trop jeune à l’époque pour avoir le souvenir de cette pierre dans le parc.

Après avoir eu l’occasion d’échanger avec Simone Arèse née Margas, qui dans son enfance avait joué dans le parc sinistré, souvenirs qu’elle narre dans ses écrits comme ce texte non publié à ce jour.

« […] dans le parc d’une presqu’île, rendu à la sauvagerie après qu’une bombe alliée y eut pulvérisé le manoir de Chantereine appartenant à Aston Knight, artiste américain, surnommé le peintre des eaux, qui avait été célèbre, dans mon village, pour les dames se baignant dans sa piscine, laquelle resta, après la destruction du manoir et de son parc, un grand bassin vide, fendu, cerné d’herbes folles, propice aux rêveries mélancoliques […]. »

Il me faut bien admettre qu’aucun indice ne vient étayer mon idée.

Une partie de ce parc constitue aujourd’hui, la salle des fêtes, les terrains de tennis et le jardin d’agrément de la mairie de Beaumont-le-Roger, l’autre partie du parc avec notamment le jardin à la française est sous le boulevard de Magenta qui traverse désormais cette commune comme le montre cet extrait du cadastre de juin 1945 réalisé en vue de la reconstruction du centre ville. Seules subsistent les anciennes écuries qui sont aujourd’hui, une ravissante demeure sur les bords de Risle.

Extrait du cadastre de juin 1945 pour la reconstruction du centre ville de Beaumont-le-Roger.

Si les maigres indices rassemblés et la mémoire des contemporains de la splendeur de cette villa et de son parc, ne permettent pas de corroborer cette idée saugrenue, il faut reconnaître que rien ne l’interdit et j’aime à penser que cette pierre est un vestige du parc Chantereine littéralement « Chante Reinette » en hommage au chant des grenouilles du parc.

Patrick DOUAIS, 2009.

Je remercie pour l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée dans cette enquête :

Laura MAGGIORANI, Pierre ROUSSEL, Ulysse LOUIS, Patrick R. KNIGHT, Simone ARESE, Gérard GALLICHET, Serge DESSON.

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