Le feu de saint Clair de La-Haye-de-Routot 2009

Le feu de saint Clair de La-Haye-de-Routot 2009

Ce 16 juillet, il est 5 heures 50, et la journée s’annonce superbe, même si l’air matinal est encore très frais.

A La Haye de Routot, c’est le jour J. Tous les « acteurs » sont arrivés, mais il est encore trop tôt. Il y a donc le temps de prendre un petit café.

Depuis plusieurs semaines déjà, le bois est prêt. Il est stocké dans l’enceinte du cimetière, en quatre pyramides inversées, de plus en plus étroites, qui préfigurent ce que sera le résultat final.a

La cloche de l’église vient de retentir. Sans plus attendre, nos hommes attaquent la première phase de l’opération : la mise en place du mât haut de 15 mètres qui servira d’ossature et de guide à l’ensemble.

Le mât est approché du trou qui doit le recevoir, et relevé à l’aide d’un tracteur.

Le voici presque mis à la verticale.

Il est temps de commencer à faire passer le bois de l’autre côté du mur du cimetière. Ce travail doit être fait méthodiquement pour faciliter le travail des monteurs.

Les premières assises sont posées. Les monteurs ont pris grand soin de bien stabiliser cette base, car d’elle dépendra l’équilibre de tout l’ensemble. Pas le moindre clou dans cet assemblage.

Peu à peu, le bûcher s’élève, guidé par les haubans accrochés au sommet du mas.

Au moment de la pause, l’ensemble dépasse déjà la hauteur de 4 mètres… et ce n’est pas fini !

A intervalles réguliers, deux lits de branchages, représentant une vingtaine de fagots, sont disposés pour faciliter l’embrasement. Cette vue de l’intérieur en montre le détail.

Retour au travail après la pause. Il faut maintenant 4 hommes sur l’échelle pour passer les bûches.

Vers 10 heures, la personne qui fleurit la croix, Michèle Bordeaux, arrive avec des brassées de fleurs et commence son travail de décoration.

La pyramide est aux deux tiers, et il n’y a plus de place en haut que pour un seul homme.

Il faut maintenant 5 hommes pour hisser les bûches. De face comme de profil, c’est impressionnant !

La croix est terminée. Elle est présentée à l’assistance.

Pendant ce temps, le bûcher a atteint sa hauteur définitive.

Il faut l’intervention de 8 hommes pour acheminer la croix vers la pyramide.

Elle passe de mains en mains…

…jusqu’au sommet.

Il ne reste plus qu’à l’y fixer solidement…

avant d’entreprendre avec la plus grande des prudences la descente des hommes et du matériel.

Il est midi. Le bûcher va être gardé jusqu’au soir par 4 volontaires afin d’éviter tout incident…

La pyramide est visible de loin dans le village.

Le soir est tombé. La foule est là. Le bûcher est toujours bien dressé, même si le vent a quelque peu dérangé la croix.

La procession des Charitons marque l’heure de la messe. Elle se rend de la Salle des Fêtes à l’église. Celle-ci est bien trop petite pour accueillir fidèles et curieux. Comme c’est la tradition, la fanfare de Sainte-Marguerite-sur-Duclair participe à la messe et se fait entendre à plusieurs reprises.

Tradition d’une part, récompense de leurs efforts de la matinée d’autre part : les Charitons sont au cœur de la cérémonie.

A la fin de la messe, les tintenelliers sortent les premiers,

suivis du reste de la confrérie. Pendant ce temps, deux frères de charité ont installé la paille qui permettra au bûcher de s’embraser.

La foule s’est massée autour du bûcher qui va être allumé par 4 personnalités : Robert Beauvallet, Gardien des traditions, président de la Confrérie de charité, Serge Lesaint, Maître de la charité, Pierre Lercier, maire de la commune et Jacky Bordeaux, président du Comité des Fêtes.

Les flammes s’élèvent rapidement

et bientôt toute la structure flambe.

La chaleur, insoutenable, oblige chacun à se reculer prudemment.

Le sommet de la pyramide commence à vaciller

puis s’effondre.

Au bout de quelques minutes à peine d’un intense brasier, il reste peu de choses.

Fidèles à la tradition (mais en connaissent-ils encore le sens ?) certains se précipitent pour se saisir de brandons encore rougeoyants. Certains en font un véritable « travail à la chaîne », et souvent l’exploit sportif semble primer sur le culte de saint Clair ou le simple respect de la tradition. Tous ces gens ont-ils conscience qu’il avait fallu plusieurs dizaines d’heures et d’efforts pour construire ce qui vient de se consumer en quelques instants ?

Il est minuit passé. Le feu de saint Clair est terminé. La foule s’éparpille. Rendez-vous l’année prochaine !

Nous remercions Messieurs Alain Joubert et Robert Beauvallet pour leur contribution à ce dossier.

Qui était Saint Clair ? – 2009

Qui était Saint Clair ? – 2009

La vie de Saint Clair, selon Vies des Saints et des Bienheureux des RR. PP. Bénédictins de Paris

Selon cet ouvrage de référence, « de Saint Clair on doit avouer que l’on ne sait absolument rien ». Ces auteurs nous disent que la plus ancienne mention de ce saint se trouve dans le martyrologe d’Usuard en 875. Il semble que son culte était déjà bien implanté dans la localité qui devait prendre au X° siècle le nom de Saint-Clair-sur-Epte, alors située dans le diocèse de Rouen. Ce culte est attesté dans tout le diocèse de Rouen ainsi que dans ceux de Paris et Beauvais au XIII° siècle, mais on peut souvent hésiter à cause de ses homonymes.

Au XI° siècle, l’auteur de la Passion de Saint Nicaise (Biblioth. Hag. Lat. n°6082) lui attribua dans son récit le rôle fort honorable d’ensevelisseur des martyrs.

« Au XII° siècle au plus tôt, un homonyme composa une Vie de Saint Clair qui est une œuvre de pure imagination (Biblioth. Hag. Lat. n°1826)… » et dont nous reproduisons les grandes lignes ci-dessous.

« Malheureusement, en dépit des précisions apportées par la suite, la plupart des noms de lieux ne sont pas identifiables, sauf celui de « Normandie » qui ne devint d’un usage courant qu’au XII° siècle et témoigne de l’époque tardive de la rédaction. Si l’on voulait attacher une valeur aux données « traditionnelles », comment explique-t-on qu’Usuard ait pu en 875 inscrire dans son martyrologe, en le qualifiant de « prêtre et martyr », Clair né moins de vingt ans plus tôt » au temps d’un roi « dont le règne dura de 855 à 870 ? Plus ennuyeux encore, la date « traditionnelle » de la mort du saint en 884, dix ans après la parution du martyrologe d’Usuard ».

La légende de Saint Clair

Clair (Clarus signifie en latin remarquable, illustre) naît d’un noble et d’une princesse à Rochester, en Angleterre, en 845. Il mène une enfance pieuse et studieuse qui fait l’admiration de tous. Devenu adulte, il souhaite se consacrer à Dieu, ce qui l’oblige à quitter l’Angleterre pour échapper au mariage que ses parents ont décidé pour lui avec une princesse galloise. Il s’établit tout d’abord en un lieu qui est l’actuel Cherbourg. Très pieux, il prêche, convertit, guérit, accomplit un miracle. Sa renommée grandit et dérange sa quête de l’absolu. Il s’enfuit dans un lieu isolé, mais tout recommence et sa vie devient une suite de guérisons, miracles, fuites et installations dans de nouveaux ermitages, l’amenant à traverser toute le Normandie.

Le Diable, excédé de voir les âmes lui échapper à cause de Clair, fait grandir dans l’esprit de la princesse galloise que Clair a refusée une haine sans limites. Elle paie deux mercenaires pour assassiner Clair. Celui-ci s’était fixé près de la rivière Epte (dans un monastère édifié en un lieu qui deviendra Saint-Clair-sur-Epte). Un jour de novembre 884, les assassins le trouvent et s’apprêtent à lui trancher la tête. La légende dit qu’au moment fatidique le bourreau aurait tremblé, si bien qu’au lieu de trancher la tête, l’épée découpa la calotte crânienne. Renouvelant le prodige de Saint Denis, Clair aurait ramassé la partie ensanglantée sur le sol, l’aurait lavée calmement dans l’eau d’une fontaine avant d’aller la déposer dans une chapelle, marquant ainsi le lieu de sa sépulture.

Il est dit aussi qu’un aveugle de naissance guérit sur sa tombe, et qu’il accomplit plusieurs miracles, toujours en rapport à la vue.. Aussi Saint Clair est invoqué pour guérir ou soulager les maux des yeux et la cécité.

Le Docteur Fournée voit dans la plus ancienne Passion de Saint Denis et de ses compagnons la naissance de ce thème reproduit par la suite dans de nombreuses Vitae. Les statues le représentent tenant sa tête dans ses mains, ou encore sa calotte crânienne découpée au dessus des yeux. Selon le Docteur Fournée, la distinction entre céphalophores (qui porte sa tête) et craniophores (qui porte sa calotte cranienne) est artificielle, l’artiste ayant « obéi à des motifs de convenances, de présentation, notamment dans les œuvres tardives » et ayant voulu donner un visage au saint tout en faisant allusion à la décapitation.

Le culte de saint Clair

On le voit, Clair est donc un saint « incertain », mais populaire en Normandie, ce qui accréditerait son débarquement d’Angleterre à Cherbourg et son apostolat dans la région. Il est particulièrement honoré dans les diocèses de Rouen, Paris et Beauvais et plusieurs églises sont placées sous son invocation en Normandie : 5 en Seine-Maritime, 3 dans l’Eure, 4 dans le Calvados, 2 dans la Manche et 1 dans l’Orne. Vingt confréries sont approuvées Saint Clair. Toutefois, le lieu de culte par excellence se situe à Saint-Clair-sur-Epte. Cette commune est située aujourd’hui dans le Val d’Oise, mais les Normands voisins viennent en nombre vénérer le saint.

En Normandie, dans la Manche, c’est à Saint-Clair-sur-Elle que le saint est invoqué, les pèlerins préférant cependant l’eau limpide de la fontaine Saint-Clair à la statue XIX° du saint qui se trouve dans l’église. Qu’importe si la statue placée derrière la grille au dessus de l’eau « miraculeuse » représente un Saint-Etienne ! Le pèlerin procède à des lavages sur place pour soulager ses maux d’yeux, et peut aussi emporter du précieux liquide. Quelques pièces de monnaies ont été jetées au fond de la fontaine. Des œufs aussi sont déposés, incitant, paraît-il, Saint Clair à assurer les mariages d’une belle journée de soleil. La fête patronale était encore célébrée en 1969. A Saint-Malo-de-la-Lande, toujours dans la Manche, il existe aussi une fontaine Saint-Clair réputée pour soigner les maux des yeux.

Le 17 juillet, Saint Clair est fêté par les miroitiers, les tourneurs, les menuisiers, les lunetiers, les aiguilletiers et les faiseurs de lacets dont il est le saint patron. Il était également le patron des lanterniers et des rouetiers. Au XIV° siècle, pas de jour « férié » en l’honneur de Saint Clair : on pouvait se livrer à un travail désintéressé (« operatur pro Deo »). Les menuisiers de Lisieux avec les tonneliers, rouettiers et tourneurs ont relevé en 1608 leur ancienne confrérie et ont choisi la saint Clair. Le Docteur Fournée raconte le déroulement de la fête, très marquée sur le plan religieux (messe solennelle, reconduite du « roi » chez lui avec assistance du clergé…). Le 17 ou le 18 juillet, le saint avait une foire à Bondeville-sur-Fécamp. La fête patronale de Gournay n’existe plus. Il y avait pour la Saint Clair 12 foires en Calvados et 3 dans la Manche.

Plus précisément dans l’Eure, Saint Clair était prié à Thuit-Signol. A Vitotel, où un pèlerinage a lieu en mi-juillet, sa statue est ornée d’ex-voto : lorgnons, lunettes, bijoux, rubans blancs. Des rubans blancs sont disposés également sur le socle de la statue de Bosc-Renoult-en-Roumois, où saint Clair est le patron de la confrérie de charité. Enfin, chaque 16 juillet, le feu de saint-Clair attire plusieurs milliers de personnes à la Haye-de-Routot. Quelques unes essaient encore, lorsque le feu s’effondre, de saisir des bradons incandescents : ils sont censés protéger les maisons de la foudre.

Enfin la chélidoine, aujourd’hui appelée encore « grande éclaire » ou « herbe aux verrues », était appelée autrefois « herbe de Saint Clair ».

Ressources documentaires

 Vies des Saints et des Bienheureux selon l’ordre du calendrier avec l’historique des fêtes – RR. PP. Bénédictins de Paris – Tome XI – Novembre – Paris VI – Editions letouzey et Ané – 1954.

 Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie. Docteur J. Fournée – SPAHN – 1973

 Les Saints qui guérissent en Normandie – Hippolyte Gancel – Collection Itinéraires de découvertes – Mars 1998 – Editions Ouest-France.

 La légende de Saint Clair – Feuillet distribué au Feu de Saint Clair de la Haye-de-Routot

– Site internet : http://www.e-prenoms.com/

Nous remercions Ulysse Louis pour sa contribution à ce dossier.

Monuments et Sites de l’Eure n° 132

Monuments et Sites de l’Eure n° 132

Le numéro 132, 2009 – Trimestre 3 est paru.

Editorial

Assemblée générale Montreuil-L’Argillé

* Les médaillés

Canton d’Amfreville-la-Campagne

* La Vierge à l’Enfant retrouve sa place en la collégiale de la Saussaye (Etienne Pélerin)

Canton d’Ecos

* Fourges : une exploitation rurale à la veille de la Révolution (Ulysse Louis)

Marcel Delaunay, Normand, peintre et défenseur du patrimoine (Joël Auber)

Souscription

* Les frais de bouche du marquis de Chambray

Carnets AMSE

Fiche technique

* Qui fait quoi dans une église protégée au titre des monuments historiques en présence d’objets protégés ?

A lire, à paraître

L’atelier Tisserand à Evreux (cahier détachable) :

         * Avant-propos de Michel Hérold

         * De la tradition à la création, des maîtres-verriers au service du patrimoine (Henry de Changy et Raymond Conraux)

 

 

Galerie de photos de l’ouvrage

Verneuil-sur-Avre – Le grison – 2009

Verneuil-sur-Avre – Le grison – 2009

ADDENDUM du 23 mars 2018

Lors de cette journée, nous avions évoqué avec Christian Montenat et Astrid Lemoine Descoutrieux, la possibilité de réaliser un ouvrage sur le grison. C’est aujourd’hui chose faite… depuis 2012 – https://www.amse.asso.fr/ouvrageedited-page

C’est à 9h que la maison de la Culture de Verneuil-sur-Avre s’est remplie ce dimanche 16 mai 2010. Thème de la journée :  » le grison dans tous ses états « . Une première intervention de M. Christian MONTENAT, professeur de géologie et passionné, a permis de mieux comprendre l’origine et les modalités d’exploitation du matériau. C’est un conglomérat de silex liés par un ciment ferrugineux dont la particularité est de se former à l’interface entre 2 couches géologiques – les limons et l’argile à silex. Le grison se trouve donc en couches de faible épaisseur, ce qui nécessite de vastes emprises d’extraction, et contraint les possibilités de taille. Sa localisation est géographiquement restreinte dans l’Eure aux bassins de la Risle, de l’Iton et de l’Avre, et s’étend dans le Loir-et-Cher et l’Eure-et-Loir. Ensuite Mme Astrid LEMOINE-DESCOURTIEUX, historienne, faisait un historique de l’utilisation de cette roche dans la construction : monuments civils ou religieux et habitat. On pouvait découvrir ainsi que, depuis le 12ème siècle, ce matériau a été très souvent employé et réemployé au cours des siècles suivants.

Une promenade apéritive à travers Verneuil-sur-Avre, sous le soleil, et commentée par Astrid LEMOINE-DESCOURTIEUX, a illustré ces conférences, et nous sommes partis à la découverte de l’église de La Madeleine, de l’Eglise Notre Dame, de la Tour Grise…

Après un repas mérité et convivial, les bus nous ont transportés jusqu’à l’église de Breteuil-sur-Iton dont l’intérieur est en grison, sous la conduite de M. Pierre MULET.

La visite d’une propriété privée aux Baux de Breteuil a été animée par les descendants des propriétaires actuels, qui ont su nous faire partager la richesse patrimoniale et humaine de ce site, belle illustration de l’utilisation du grison.

Pour finir, la visite de l’église Saint Martin de Francheville a été assurée par Stéphane LEVERT, et le petit musée de l’artisanat – et son guide! ont permis de retrouver une partie des gestes de l’exploitation de ce matériau, encore présents dans les mémoires de certains. Une très bonne journée organisée par Pierre DURAND, délégué du Canton de Verneuil-sur-Avre, qui aura permis (une fois de plus!) d’ouvrir un oeil différent sur ce matériau spécifique, peu courant, esthétiquement original, qui orne encore certains murs qui nous entourent…

– Photographies : Anne MONNIER & Pierre DURAND
– Textes : Anne et François MONNIER