La vie de Saint Clair, selon Vies des Saints et des Bienheureux des RR. PP. Bénédictins de Paris
Selon cet ouvrage de référence, « de Saint Clair on doit avouer que l’on ne sait absolument rien ». Ces auteurs nous disent que la plus ancienne mention de ce saint se trouve dans le martyrologe d’Usuard en 875. Il semble que son culte était déjà bien implanté dans la localité qui devait prendre au X° siècle le nom de Saint-Clair-sur-Epte, alors située dans le diocèse de Rouen. Ce culte est attesté dans tout le diocèse de Rouen ainsi que dans ceux de Paris et Beauvais au XIII° siècle, mais on peut souvent hésiter à cause de ses homonymes.
Au XI° siècle, l’auteur de la Passion de Saint Nicaise (Biblioth. Hag. Lat. n°6082) lui attribua dans son récit le rôle fort honorable d’ensevelisseur des martyrs.
« Au XII° siècle au plus tôt, un homonyme composa une Vie de Saint Clair qui est une œuvre de pure imagination (Biblioth. Hag. Lat. n°1826)… » et dont nous reproduisons les grandes lignes ci-dessous.
« Malheureusement, en dépit des précisions apportées par la suite, la plupart des noms de lieux ne sont pas identifiables, sauf celui de « Normandie » qui ne devint d’un usage courant qu’au XII° siècle et témoigne de l’époque tardive de la rédaction. Si l’on voulait attacher une valeur aux données « traditionnelles », comment explique-t-on qu’Usuard ait pu en 875 inscrire dans son martyrologe, en le qualifiant de « prêtre et martyr », Clair né moins de vingt ans plus tôt » au temps d’un roi « dont le règne dura de 855 à 870 ? Plus ennuyeux encore, la date « traditionnelle » de la mort du saint en 884, dix ans après la parution du martyrologe d’Usuard ».
La légende de Saint Clair
Clair (Clarus signifie en latin remarquable, illustre) naît d’un noble et d’une princesse à Rochester, en Angleterre, en 845. Il mène une enfance pieuse et studieuse qui fait l’admiration de tous. Devenu adulte, il souhaite se consacrer à Dieu, ce qui l’oblige à quitter l’Angleterre pour échapper au mariage que ses parents ont décidé pour lui avec une princesse galloise. Il s’établit tout d’abord en un lieu qui est l’actuel Cherbourg. Très pieux, il prêche, convertit, guérit, accomplit un miracle. Sa renommée grandit et dérange sa quête de l’absolu. Il s’enfuit dans un lieu isolé, mais tout recommence et sa vie devient une suite de guérisons, miracles, fuites et installations dans de nouveaux ermitages, l’amenant à traverser toute le Normandie.
Le Diable, excédé de voir les âmes lui échapper à cause de Clair, fait grandir dans l’esprit de la princesse galloise que Clair a refusée une haine sans limites. Elle paie deux mercenaires pour assassiner Clair. Celui-ci s’était fixé près de la rivière Epte (dans un monastère édifié en un lieu qui deviendra Saint-Clair-sur-Epte). Un jour de novembre 884, les assassins le trouvent et s’apprêtent à lui trancher la tête. La légende dit qu’au moment fatidique le bourreau aurait tremblé, si bien qu’au lieu de trancher la tête, l’épée découpa la calotte crânienne. Renouvelant le prodige de Saint Denis, Clair aurait ramassé la partie ensanglantée sur le sol, l’aurait lavée calmement dans l’eau d’une fontaine avant d’aller la déposer dans une chapelle, marquant ainsi le lieu de sa sépulture.
Il est dit aussi qu’un aveugle de naissance guérit sur sa tombe, et qu’il accomplit plusieurs miracles, toujours en rapport à la vue.. Aussi Saint Clair est invoqué pour guérir ou soulager les maux des yeux et la cécité.
Le Docteur Fournée voit dans la plus ancienne Passion de Saint Denis et de ses compagnons la naissance de ce thème reproduit par la suite dans de nombreuses Vitae. Les statues le représentent tenant sa tête dans ses mains, ou encore sa calotte crânienne découpée au dessus des yeux. Selon le Docteur Fournée, la distinction entre céphalophores (qui porte sa tête) et craniophores (qui porte sa calotte cranienne) est artificielle, l’artiste ayant « obéi à des motifs de convenances, de présentation, notamment dans les œuvres tardives » et ayant voulu donner un visage au saint tout en faisant allusion à la décapitation.
Le culte de saint Clair
On le voit, Clair est donc un saint « incertain », mais populaire en Normandie, ce qui accréditerait son débarquement d’Angleterre à Cherbourg et son apostolat dans la région. Il est particulièrement honoré dans les diocèses de Rouen, Paris et Beauvais et plusieurs églises sont placées sous son invocation en Normandie : 5 en Seine-Maritime, 3 dans l’Eure, 4 dans le Calvados, 2 dans la Manche et 1 dans l’Orne. Vingt confréries sont approuvées Saint Clair. Toutefois, le lieu de culte par excellence se situe à Saint-Clair-sur-Epte. Cette commune est située aujourd’hui dans le Val d’Oise, mais les Normands voisins viennent en nombre vénérer le saint.
En Normandie, dans la Manche, c’est à Saint-Clair-sur-Elle que le saint est invoqué, les pèlerins préférant cependant l’eau limpide de la fontaine Saint-Clair à la statue XIX° du saint qui se trouve dans l’église. Qu’importe si la statue placée derrière la grille au dessus de l’eau « miraculeuse » représente un Saint-Etienne ! Le pèlerin procède à des lavages sur place pour soulager ses maux d’yeux, et peut aussi emporter du précieux liquide. Quelques pièces de monnaies ont été jetées au fond de la fontaine. Des œufs aussi sont déposés, incitant, paraît-il, Saint Clair à assurer les mariages d’une belle journée de soleil. La fête patronale était encore célébrée en 1969. A Saint-Malo-de-la-Lande, toujours dans la Manche, il existe aussi une fontaine Saint-Clair réputée pour soigner les maux des yeux.
Le 17 juillet, Saint Clair est fêté par les miroitiers, les tourneurs, les menuisiers, les lunetiers, les aiguilletiers et les faiseurs de lacets dont il est le saint patron. Il était également le patron des lanterniers et des rouetiers. Au XIV° siècle, pas de jour « férié » en l’honneur de Saint Clair : on pouvait se livrer à un travail désintéressé (« operatur pro Deo »). Les menuisiers de Lisieux avec les tonneliers, rouettiers et tourneurs ont relevé en 1608 leur ancienne confrérie et ont choisi la saint Clair. Le Docteur Fournée raconte le déroulement de la fête, très marquée sur le plan religieux (messe solennelle, reconduite du « roi » chez lui avec assistance du clergé…). Le 17 ou le 18 juillet, le saint avait une foire à Bondeville-sur-Fécamp. La fête patronale de Gournay n’existe plus. Il y avait pour la Saint Clair 12 foires en Calvados et 3 dans la Manche.
Plus précisément dans l’Eure, Saint Clair était prié à Thuit-Signol. A Vitotel, où un pèlerinage a lieu en mi-juillet, sa statue est ornée d’ex-voto : lorgnons, lunettes, bijoux, rubans blancs. Des rubans blancs sont disposés également sur le socle de la statue de Bosc-Renoult-en-Roumois, où saint Clair est le patron de la confrérie de charité. Enfin, chaque 16 juillet, le feu de saint-Clair attire plusieurs milliers de personnes à la Haye-de-Routot. Quelques unes essaient encore, lorsque le feu s’effondre, de saisir des bradons incandescents : ils sont censés protéger les maisons de la foudre.
Enfin la chélidoine, aujourd’hui appelée encore « grande éclaire » ou « herbe aux verrues », était appelée autrefois « herbe de Saint Clair ».
Ressources documentaires
– Vies des Saints et des Bienheureux selon l’ordre du calendrier avec l’historique des fêtes – RR. PP. Bénédictins de Paris – Tome XI – Novembre – Paris VI – Editions letouzey et Ané – 1954.
– Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie. Docteur J. Fournée – SPAHN – 1973
– Les Saints qui guérissent en Normandie – Hippolyte Gancel – Collection Itinéraires de découvertes – Mars 1998 – Editions Ouest-France.
– La légende de Saint Clair – Feuillet distribué au Feu de Saint Clair de la Haye-de-Routot
– Site internet : http://www.e-prenoms.com/
Nous remercions Ulysse Louis pour sa contribution à ce dossier.